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Fiches de lectures et chroniques azimutées...des histoires de livres !

La Maison - Emma Becker

Putain !

 

En sixième, ma prof’ de français s'appelait Madame Barbedienne.

Outre son patronyme impossible à épeler sans bafouiller, je m'en souviens surtout parce qu'elle fut le témoin de mes premières velléités d'écriture, qu'elle corrigea ma première -et unique- nouvelle et nous fit plancher, mes camarades et moi, sur la rédaction d'une poésie consacrée au bonheur.

 Si les termes exacts de la dite demeurent floues, je me rappelle comme si c'était hier (c'était hier...) que ma poésie, travaillée avec ardeur et dévotion (mes profs de français ayant toujours exercé une sorte de fascination sur moi au point d'avoir pensé embrasser leur fonction...mais je m'égare...) avait reçu une bonne note.

Sauf que ...sous la note, biffés en rouge, et agrémentés d'un commentaire sec et sans appel : "inapproprié", les mots "fille de joie" restaient désespérément soustraits aux yeux du lecteur de ma poésie. Interdite, je n'osais remettre en question le jugement ô combien attendu et indiscutable de Madame Barbedienne et rentrais, penaude, avec ma bonne note qu'entachait la rayure au stylo à bille rouge...

M'ouvrant auprès de mon père de l'incompréhension que suscitait cette reconnaissance teintée du carmin "inapproprié" qui lui succédait, je le vis éclater de rire alors que ma première intention, et c'est louable, était à la fois de faire une rime riche (je ne me souviens plus avec quoi...bois ou toit..peu importe) mais surtout de résumer en de jolis mots le fait d'être une fille heureuse...une fille de joie..ca me paraissait un bon compromis...oint je mesurais, au fil de l'explication de mon père amusé, qu'elle prenait une dimension autre que ma chère professeure avait anéantie d'un coup sec. A la lecture de "La Maison", je voudrais bien débattre à nouveau avec Mme Barbedienne du terme "inapproprié" pour qualifier une fille de joie.

Parce qu'Emma Becker réussit ce tour de force, improbable, de dédramatiser les putes, autant que faire se peut. Elle ne les adoube pas, ne les défend pas. Elle vit avec elles, et de putains à filles de joie il n'y a qu'un champ lexical, une nuance, une synonymie que l'auteure nous convainc d'adopter, sans jugement aucun.

Amateurs de détails croustillants, vous en serez pour vos frais, même si quelques passages restent crus -et drôles-. Pour ceux qui, comme l'adolescente que je fus il n'y a pas si longtemps (si, si...), n'avaient de Berlin que l'image "couleur Derrick" de "Moi, Christiane F.", le livre d'Emma Becker ôte quelques verrous et nous laisse regarder par l'entrebâillement du rideau ce que sont les femmes, putes ou pas.

Pas de voyeurisme, ni de vice...quoique...surtout une allégorie de la femme, sexuée, pas faible.

Bien sûr, La Maison tient ce rôle protecteur, légal qui donne à penser qu'hors de ses murs, les prostituées sont sans doute plus à plaindre que celles qu'un bordel organisé protège.

Bien sûr, cette expérience vécue par Emma Becker, sous couvert d'en rapporter un texte offert aux yeux de tous, parce qu'elle est écrivaine avant d'être une pute, et surtout une jeune femme avant toute chose, pourrait sembler un brin provocant...

D'autres auteur(e)s s'y sont essayé(e)s avec le résultat que l'on connaît, débauche de débats stériles et controverses inutiles sans autres conclusions que d'agiter la sphère pseudo-intellectuelle et « sachante » qui focalise son intérêt sur Yann Moix ou Christine Angot.

Je ne doute pas une seconde de l'excitation d'un Ardisson ou d'un Ruquier, bousculant leurs programmes pour recevoir Emma Becker rien que pour lui demander "Alors, ça fait quoi d'être une pute ?"...alors que l'essentiel de son texte n'amène qu'une question : alors, ça fait quoi d'être une femme...et qu'à cette question, l'auteure apporte quelques réponses, que Calaferte ou Zola avaient approchées, mais que des animateurs en quête de sensationnalisme ne pourraient même pas entrevoir, sauf à regarder par le trou de la serrure, et encore...

J'ai envie de dire : Putain !

Et là, ce n'est ni vulgaire, ni grossier.

Sans doute Madame Barbedienne aurait-elle laissé sur cette locution une rayure sanglante, ou cinglante, c'est selon. Une chose est sûre, cette fille de joie n'est pas inappropriée, et le bonheur de la lire n'est, à aucun moment, vulgaire ou libidineux.

Putain, donc !

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