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Fiches de lectures et chroniques azimutées...des histoires de livres !

Rhapsodie des oubliés - Sofia Aouine

Rhapsodie des oubliés - Sofia Aouine

 […]« Premier roman sur le peuple qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple » […]

Emile Zola à propos de « L’assommoir »

 

 

Ca raconte Abad…

Ca raconte la crue de l’adolescence, la sève impossible à contenir, la salive et les larmes.

Ca raconte les humeurs.

Celles que la puberté chiffonne dans un Sopalin, que la pudeur dissimule dans des Kleenex, que la peur cache derrière un Niqab…

Abad rêve…d’apesanteur, aussi.

D’un amour qui le flingue et pourtant il est loin des archipels et des vagues perpétuelles…

Toujours la houle le ramène au pied de la butte Montmartre, dans le magma nauséabond des âmes errantes et des corps exténués de la Goutte d’Or.

Toujours la vague le plaque sur le bitume de la réalité, violente, désabusée, quand il aspire à des cieux qu’il n’atteint que parfois sur les toits, arrimé au souvenir des yeux de celle qui ne lui offre qu’un regard, qui laisse dans son cœur des ondes sismiques et sensuelles à mille lieues de la crudité du quotidien…

Vertige de l’amour… Abad parfois rêve trop fort…et ça déborde.

Les hormones, la délinquance tapie dans chaque entrée d’immeuble et qui ne demande qu’à se répandre.

Abad, en liberté surveillée, dans le ghetto, joue sa fantaisie pubère, jamais totalement maîtrisée. L’amour lui a faussé compagnie, englouti dans Barbès et ses dérives, noyé sous les balles du pays natal qu’il a fallu quitter, absorbé par les tapis de prières que piétinent des barbus obscurantistes, abattu dans le silence de sa mère et sous les coups du père.

Parfois, l’amour parvient à troubler la surface blême des trottoirs de la rue Léon. Amour callipyge d’une vénus, sacrifiée sur l’autel de la dignité, il prend les formes de Gervaise, pommes d’or, pêches de diamant, qui, dans son giron, berce l’absence de sa fille restée au pays.

Puisque Baba se tait, c’est dans la voix d’Odette qu’Abad puise un peu de tendresse et de reconnaissance.

Et quand les mots ne font plus le poids, que la meute des chiens perdus sans colliers aboie trop fort et se fait capturer, c’est Ethel, la psychologue, qui vient desserrer le garrot pour que l’escarre ne gangrène pas, c’est Ethel qui sonde le cœur et triture l’esprit.

Rhapsodie des oubliés, ça raconte le bruit et l’odeur, la fleur d’oranger et les sanglots des putes arrachées à leurs enfants. Ca raconte la rue à l’ombre du Sacré-Cœur. Ca raconte l’alambic dans lequel se distille la vie frelatée de ceux que la grâce d’Amélie Poulain a ignoré.

Digne héritière de Zola, Sofia Aouine écoute la ville tomber et s’en fait l’écho. Enfants du désordres, résidents d’une République qui les a parqués en zone urbaine sensible, Abad et sa bande s’abîment dans les déceptions de leur condition. Les frontières sont trop peu poreuses pour que l’espoir s’insinue et U-porn a les reflets d’un miroir aux alouettes. Mais la glace est sans tain et la désillusion aveuglante.

L’Odyssée d’Abad  prend les chemins de traverse. C’est comment qu’on freine ?  

« Un jour je voguerai moins
Peut-être le jour où la terre s'entrouvrira… »

C’est finalement tout ce qu’on lui souhaite : que la rue Léon lève la herse et que commence enfin la tournée des grands espaces…

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